L’Aiguille de Chambeyron (3412 m) est le point culminant du massif du Chambeyron, du département des Alpes-de-Haute-Provence et plus généralement de la Provence. L’aiguille se situe dans la haute vallée de l’Ubaye, à l’extrémité nord-est du département, dans la commune de Saint-Paul-sur-Ubaye.
L’aiguille de Chambeyron, étant moins visible et moins bien individualisée que le Brec de Chambeyron, est plus rarement gravie. La voie normale se déroule dans la face S, à partir du refuge du Chambeyron. Elle remonte différents systèmes de vires dans la voie, en passant par la brèche Nérot-Vernet (3 251 m, à l’est du sommet sur la crête faîtière). Rocher pas toujours bon, difficulté PD avec passages de III-. La variante par l’arête Est est aussi pratiquée, plus difficile et en meilleur rocher (AD, IV). Elle part de la brèche Nérot, passe par les dalles de marbre rose, et suit l’arête jusqu’au sommet. C’est la voie que nous allons prendre avec Delphin. L’itinéraire étant compliqué et l’ascension assez technique, nous faisons appel à un guide de la vallée, Christophe, qui tient un magasin de sport. Nous allons d’ailleurs le rencontrer au magasin où il nous fait un petit briefing. Nous nous sommes installés au camping de Jausiers. Le lendemain, veille de l’ascension, nous montons au hameau de Fouillouse où nous laissons la voiture au parking et prenons le sentier pour le refuge du Chambeyron, que nous atteignons tranquillement en 3h, et où nous rejoint Christophe le soir au dîner. Nous nous couchons tôt, et toute la nuit je gamberge, entre le stress du lendemain et autres sujets qui me préoccupent… Bref je consulte ma montre régulièrement, je ne dors pas, et quand le réveil sonne vers 5 h, je n’ai pas dormi de la nuit, pas une minute ! Mais il faut bien se lever ! On s’habille, on déjeune, et en avant zou !! Le chemin remonte le vallon jusqu’au lac des Neufs Couleurs, puis nous obliquons à gauche pour remonter les éboulis de rochers. Nous arrivons au pied des dalles de marbre rose, où nous nous équipons (baudrier, casque, corde) et où nous changeons nos grosses chaussures pour les chaussons d’escalade. C’est parti pour la partie escalade. Il est joli ce marbre rose ! L’escalade est de niveau III/IV, certains passages sont délicats à passer, dont un où j’ai vraiment du mal, mais nous nous en sortons. Après le marbre rose, c’est une succession d’arêtes et de vires, et nous arrivons enfin à la croix du sommet ! Panorama sublime, le Viso se détache du côté italien. Nous avons mis 6 h depuis le refuge. Nous allons en mettre autant pour redescendre ! Même Christophe se perd dans ce dédale de rochers ! Il nous fait remonter pour finalement nous faire descendre en rappel. Certains passages ne sont pas rassurants, le rocher est pourri, des morceaux se détachent sans arrêt, il faut être très vigilant. Delphin n’est pas plus rassuré que moi. Soudain des grimpeurs nous appellent ; ils sont 2 ou 3, coincés sur une petite vire sur une falaise, où ils sont descendus, et ne peuvent plus ni remonter ni descendre, leur corde est trop courte. Ils ont de la chance que l’on passe par là, parce que sinon il n’y a personne d’autre sur la montagne et ils auraient pu passer la nuit à cet endroit, et même plus. Ils ont aussi de la chance que Christophe soit guide et qu’il ait une radio pour appeler des secours. Très rapidement un hélicoptère arrive muni d’un filin et nous assistons à leur sauvetage. Nous finissons par retrouver les éboulis et le sentier qui nous ramène au refuge, une douzaine d’heures après en être partis. Christophe nous quitte à ce moment et file vers la vallée. Merci à toi Christophe, sans toi nous n’aurions jamais escaladé cette aiguille, ni trouvé notre chemin dans cette montagne ! Après avoir bu le verre de l’amitié, il faut maintenant redescendre encore jusqu’à la voiture ; nous n’en pouvons plus après cette journée, sans compter la nuit blanche… C’est une longue descente interminable, puis retour en voiture au camping, où nous nous écroulons direct dans la tente ! Nous tombons dans les bras de Morphée instantanément !
Je suis assez fier de cette ascension, je pense que c’est techniquement la plus difficile que j’ai réalisée.
Avec Delphin nous en reparlons régulièrement, Chambeyron c’est pas de la montagne à vaches !
Voici le compte rendu de l’ami Delphin, décidément plutôt doué pour la rédaction :
Cette année, Serge soumet l’idée de s’attaquer à la traversée des Aiguilles de Chambeyron, point culminant du massif de Chambeyron, du département des Alpes-de-Haute-Provence et plus généralement de la Provence, avec ses 3412 mètres d’altitude. Il s’agit du sommet alpin le plus élevé au sud du mont Viso.
Topo : PD (peu difficile), de la varappe, quelques passages faciles en escalade (II+) mais tout de même aérien, un beau dénivelé de 1600m sur une distance de 16km ! Nous nous y rendrons début septembre, sans neige donc. Je ne creuse pas plus mes recherches, je suis partant ! Comme à chaque fois avec Serge, je ne sais pas dans quoi je m’embarque 🙂
Le trajet en voiture, de Paris à la vallée de l’Ubaye est extrêmement long… 11h de route de mémoire. Autant dire que dans mes souvenirs, il n’en reste pas vraiment grand chose, hormis l’excitation qui monte, les doutes aussi car mon niveau d’escalade n’est pas élevé.
Nous arrivons donc au parking. Nous sortons le barda du coffre et c’est parti pour rejoindre le refuge.
La marche prend généralement 2h. Notre guide, Christophe, nous rejoindra en fin de journée, directement au refuge. Depuis le parking nous suivons le sentier balisé, nous avançons à notre rythme, tranquille, en prenant des photos, il fait beau et chaud, il y a pas mal de fleurs au bord du chemin. Je marche dessus pour laisser une trace de mon passage 🙂 Nous atteignons le petit refuge au bout de 3h. Le refuge se situe au pied du Brec de Chambeyron, qui culmine à 3389 mètres, le refuge étant à 2630 mètres, on se sent vraiment tout petit ! Cette masse rocheuse est réellement impressionnante ! Le refuge est une étape de nombreux raids et boucles de durées variables en Ubaye, ou sur la traversée des Alpes.
L’ambiance dans le refuge est bonne enfant ; il faut dire qu’il y a pas mal d’italiens (toujours à parler fort et à se marrer). La cuisine est bonne, Serge se régale, il finit le plat commun des entrées et récure la marmite du plat principal. Il ne le sait pas encore, mais il aura besoin d’énergie pour la journée qui va suivre. Le poêle chauffe énormément la pièce commune, je commence à cogiter, plus le temps passe, plus le stress me gagne.
Nous nous couchons tôt car le départ se fera vers le coup des 4h. Dans le dortoir, on dort tous au même endroit… ça ronfle. Serge, qui est juste dans le lit superposé au-dessus de moi, n’arrête pas de tourner sur lui-même, de s’agiter. Soit il n’arrive pas à s’endormir, soit il se prend pour un ver de terre dans un rêve. A quelques reprises, il ronfle mais ça ne dure pas. Mais le pire, c’est que mon esprit s’interroge, sans cesse, sur ce qui va nous attendre le lendemain, et les heures tournent… « j’espère que les parties d’escalade sont vraiment simples… ? Est-ce que… est-ce que…” 3h sonne, il est temps de se lever… Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, je suis KO.
Nous prenons le petit déjeuner, sans saveur. 4h, on décolle dans un froid mordant, j’avance au radar. Nous prenons la direction du Lac des 9 couleurs par un sentier balisé. Nous atteignons ensuite le magnifique Lac Long (2783m), puis quittons le sentier balisé pour bifurquer en direction nord-est, à travers des pentes herbeuses, puis de gros blocs de pierre. Finalement, nous arrivons devant le couloir de l’Aiguille de Chambeyron, dont l’entrée s’apparente à un cône d’éboulis. Nous effectuons l’ascension de ce cône sur une centaine de mètres : c’est légèrement casse-gueule, la caillasse et les pierres roulent facilement sous nos pas, on progresse quasiment à quatre pattes sur toute la longueur. Des observateurs au loin verraient le guide, debout, et 2 culs en galère derrière lui ; magnifique ! Remonter ce tas croulant est interminable. Ce dernier n’est plus enneigé en cette saison. Nous remontons jusqu’à buter sur le pied d’une paroi rocheuse, là où une belle vire part sur la droite.
Nous empruntons la large vire d’éboulis à droite du couloir et suivons une sente assez bien tracée. L’itinéraire se poursuit par une succession d’autres vires en balcon dont une, munie d’une corde fixe faisant office de main courante, le passage étant sacrément exposé. A partir de là, nous serons encordés durant des heures.
Nous arrivons devant la première difficulté : une belle dalle verticale (4b), rose de granit, avec une fissure de bas en haut, sur une 15aine de mètres de mémoire. Nous mettons les chaussons d’escalade. La première commence. Christophe part devant pour ouvrir le chemin et poser les mousquetons pour sécuriser la montée. Assez vite, on ne le voit plus, on n’entend rien. Puis la corde se tend à plusieurs reprises, c’est le signal. Je regarde Serge, je pose mes mains dans la fissure et je commence à monter. Serge me suit. Très vite, mes mains deviennent moites. On escalade la fissure lentement, le guide tire sur la corde, on ne doit pas aller assez vite, il doit se demander ce qu’il se passe. A un moment, Serge fait tomber un mousqueton qu’il vient de retirer. Ce dernier s’accroche par miracle sur une petite plante au creux de la roche, on désescalade 2, 3 mètres pour le récupérer. Christophe tire encore la corde. Quelle galère, ça commence bien.
On rejoint finalement Christophe. Je lui dis que je n’ai pas aimé ce passage, Serge est bien rouge. Christophe me répond que c’était le passage le plus difficile. Ouf ! La suite devrait être plus simple. En fait, pas du tout.
Très vite, on se retrouve devant ce qu’on appelle une cheminée : en escalade, on parle de cheminée lorsque deux parois se font face. Le grimpeur escalade en opposition entre les deux murs, soit avec un pied et une main sur chaque paroi, soit en collant son dos contre l’une et ses pieds contre l’autre. Ici la cheminée est courte et fermée sur 3 côtés. Je la passe avec disgrâce, jambes tendues d’un côté et sac à dos contre l’autre paroi, je la monte “assis”, les fesses dans le vide. Je ne sais plus comment s’en est sorti Serge.
On continue notre ascension sur du rocher détritique qui s’effrite facilement. Il arrive qu’une prise lâche sous un pied. On provoque des chutes de pierre… Le guide n’est pas content, et c’est normal. J’ai l’impression d’enchaîner les galères.
On monte, on monte… à travers un système de gradins rocheux assez labyrinthique. Je ne sais pas comment Christophe se repère, tout tombe en ruine. Rien ne semble tenir à certains endroits, l’environnement semble sensible.
Avant d’arriver au sommet, je me souviens que nous avons franchi un passage pendulaire très aérien, un peu verglacé, avec de très petites prises pour les mains et les pieds. Le combo gagnant pour que ça se passe mal ! Nous nous sécurisons avec de nombreux becquets. Il y a du gaz dans l’air, la sueur coule, l’adrénaline est présente, j’ai peur que Serge se plante et qu’on parte dans le vide tous ensemble, où au mieux, qu’on s’éclate sur la paroi. A moins que ce soit moi qui fasse un mauvais pas… Finalement, tout se passe bien, l’ego remonte : on n’est pas si mauvais ! 🙂
Dernier passage, pour une fois sympa, le gendarme noir, un passage où l’on passe à la force des bras, pas de prise pour les pieds. Je ne sais pas trop expliquer ce passage mais c’était fun !
Le sommet est atteint en 5h30, nous sommes dans les temps mais fatigués ! En avance de 30 minutes sur le temps estimé.
Après une bonne pause au sommet de cette montagne qui paraissait si inaccessible d’en bas, il faut bien se résoudre à attaquer la descente.
La descente est bien plus ardue que la montée, tout se détache sous nos pas, rien ne tient. Avec la fatigue, nos pas sont plus lourds, le sol se dérobe, on enchaîne les mauvais pas.
Au bout d’un moment nous sommes perdus, la montagne ayant changé depuis le dernier passage du guide. Je sens Christophe tendu. Il ne reconnait plus les lieux, il décide de rattraper le chemin de la montée pour redescendre par celui-ci, je pleure intérieurement.
À un moment, au loin (à bien 400 m je dirais) nous voyons un groupe de gars qui nous font des signes avec leurs bras. Après une discussion par signe, Christophe a saisi le problème : ils sont perchés sur un rebord, coincés : ils ont descendu un mur d’une 50aine de mètres, se sont retrouvés sur ce rebord, mais leur corde n’est pas assez longue pour continuer à descendre, et ils ne peuvent plus remonter car ils l’ont détachée avant de sonder la descente suivante. Il saisit la radio et appelle les secours. En attendant l’hélicoptère, nous nous abritons sous un rocher, le déplacement de l’air dû aux palmes peut provoquer des chutes de pierres. On en profite pour souffler.
L’hélicoptère arrive, un gars est hélitreuillé : il va placer des pitons dans la roche pour former une sorte d’escalier pour que le groupe puisse remonter sur un spot, pour pouvoir ensuite atteindre l’hélicoptère. La classe cette intervention, de mémoire ça a été plié en 30 minutes. L’hélicoptère repart avec les gars, le silence retombe, nous nous retrouvons seuls dans cette ruine de roches…
La suite est monotone : descente, petits rappels, glissades, chutes sur les fesses à cause de la fatigue. Nous rejoignons le plancher des vaches au bout de 6h de descente. Nous sommes en retard, le guide trace jusqu’au refuge, nous laissant Serge et moi à notre rythme.
Une fois au refuge, le guide doit partir au plus vite car il a une autre course le lendemain et nous avons fini avec trop de retard. Nous faisons une pause tarte-myrtille pour reprendre des forces puis nous quittons le refuge pour rejoindre la voiture.
Je suis sur les rotules, cette descente est interminable, je manque de me tordre les chevilles, je tiens grâce aux bâtons de marche, je commence à me râler après moi-même.
Une fois le parking atteint (vers 20h), on descend la vallée en voiture pour rejoindre le camping où nous passerons la nuit. Vers 20h45, mon téléphone capte le signal et est bombardé d’appels en absence et de SMS : j’ai dit que je donnerai des nouvelles vers 17h, tout le monde a paniqué de ne pas en avoir pendant des heures.
De mémoire, nous avons monté les tentes et nous nous sommes couchés, sans manger, tellement nous étions exténués par l’ascension ! Cette nuit-là, impossible de trouver le sommeil profond : je me repasse en mémoire toute la sortie.